Musique haïtienne : un poids lourd s’en est allé

Musique haïtienne : un poids lourd s’en est allé

Triste nouvelle ! Jacques Maurice Fortère dit «Wawa» est décédé, lundi, aux États-Unis d’Amérique à l’âge de 82 ans. En Haïti, qui ne connaît pas le légendaire maestro? Probablement les jeunes de 10 à 35 ans, très peu informés de l’histoire de la musique haïtienne, en raison d’absence d’institutions chargées de transmettre les valeurs culturelles aux générations montantes.  La presse. Le ministère de la Culture. A quoi servent-ils ? Chez nous, ils sont des tonneaux vides qui ne font plus de bruit autour des écrivains, peintres et musiciens les plus célèbres.

Wawa, brillant musicien et compositeur

Jacques Maurice Fortère dit Wawa peut se reposer en paix dans la cour des grands noms qui ont marqué la musique haïtienne : l’intouchable Guy Durosier, l’incroyable Issa El Saieh, l’ineffaçable Ulrick Pierre Louis, l’inoubliable Boulot Valcourt, l’adorable Éval Manigat, l’impérial Manno Charlemagne pour ne citer que ceux-là.

Musicien polyvalent, compositeur, interprète, Wawa, dit-on, détenait le secret consistant à explorer et exploiter à fond les différents genres musicaux d’Haïti. A l’instar des jeunes musiciens des années 50, Jacques Maurice Fortère faisait ses premiers pas dans des groupes musicaux dits « Grenn siwèl ». Progressivement, il acquérait de l’expérience et apprenait les fondements de la musique. Durant l’année 1957, il tentait sa chance dans les rangs  de « Jeunesse Sentimentale » du Bel-Air. Plus tard, il partait à l’exploration d’autres cieux. De l’Orchestre « La Gaieté » à l’ensemble « Les Carrousels de la Chanson », l’excellent vocaliste attirait l’attention de Nemours Jean-Baptiste, père fondateur du rythme Compas direct. Son passage au sein de l’Ensemble de Nemours Jean-Baptiste était de courte durée.

Wawa mettait davantage son talent de musicien et sa disponibilité au service du rythme : Cadence rampa. Sous la direction du maestro Wébert Sicot, Jacques Maurice Fortère travaillait dur au sein de « La Flèche d’Or » afin de permettre à la Cadence rampa de tenir la dragée haute au Compas direct, alors, un véritable lion en furie. A côté d’excellents chanteurs à savoir André Dorismond et Gary French, Wawa parvenait à s’imposer grâce à ses compositions et hits : Kanaval djèt la, Fanatik 4 koulè, Pwen final.

Parallèlement, de 1973 à 1976, Jacques Maurice Fortère réalisait pas moins de quatre albums avec son propre groupe musical, à prépondérance vocale, baptisé « Wawa et les Camisoles Bleues».

En 1975, « La Flèche d’Or » laissait la place à «Super Choucoune-Soleil D’Haïti». Wawa conduisait, à merveille, la barque de ce nouveau groupe musical dans le répertoire duquel on comptait de nombreux hits à savoir « Homo homini lupus », « L’enfer est sur la terre » et « Yahvé ». Il composait également des morceaux à succès pour les Orchestres Septentrional et Tropicana du Cap.

A la fin des années 70, Wawa donnait ses services au groupe musical appelé « Les Rossignols Noirs ». Il collaborait aussi avec le grand Orchestre de la Radio Nationale dirigé par les légendaires Raoul Guillaume et Webert Sicot.

En 1990, l’infatigable Jacques Maurice Fortère décidait de mener une grande lutte en faveur de la musique racine, la vraie musique populaire haïtienne. Il lançait donc le groupe «Rasin Kanga» qu’il  dirigeait bien avec Lénor Fortuné dit Azor.

Généreux et bon conseiller

Wawa est père de dix garçons et de quatre filles. Séduisant, il tissait des relations sentimentales avec plusieurs femmes, mères de ses 14 enfants. Il était très respecté par ses frères musiciens auxquels il prodiguait souvent des conseils très précieux pour l’avancement des groupes musicaux. Envahis par le découragement, il arrivait parfois que des musiciens se laissaient emporter par l’idée d’abandonner leur profession au profit d’autres activités lucratives. Wawa qui s’y opposait toujours leur proposait des solutions intéressantes. En témoigne qu’en 1976, le D.P. Express débutait ses activités aux prix de grandes difficultés financières. Les fans de l’ancien groupe musical « Les Difficiles de Pétion-ville », conservateurs et nostalgiques n’acceptaient pas encore le nouveau groupe baptisé D.P. Express. Résultats : les fans boudaient les affiches ; pas de recettes. Enfin, le manager Papite Halloun décidait contre son gré de fermer boutique. Wawa apprenait la triste nouvelle conseillait aux musiciens de ne pas laisser tomber le projet. Il leur faisait don d’un morceau « Aprann pale » qui, quelques semaines plus tard, saccageait les ondes des radios de la Capitale. Programmé par la suite au Lambi, le D. P. Express faisait salle comble. Et voilà, le train musical  qui démarrait à grande vitesse pour le bonheur des milliers de fans (Vert et blanc). Etonnamment, Jacques Maurice Fortère dit Wawa ne revendiquait pas ses droits pour ce hit qu’il concédait à Eddy Wooley (Guitariste du groupe). [1]

Jacques Maurice Fortère dit «Wawa» est né à Port-au-Prince (Haïti) en 1937. Ses parents sont originaires de la 8e section de la commune de Léogâne. Un parcours impressionnant. Une carrière musicale très fructueuse. Toujours en quête de la perfection. Un vrai artiste !

En 2006,  frappé d’un accident cérébral vasculaire (AVC), le maestro souffrait d’une paralysie  qui l’avait fortement secoué, lit-on dans la presse locale. Wawa, un Samba contemporain qui mérite largement d’être honoré.

Hudler Joseph

Haiti Infos Plus

 

 

 

 

[1] Révélations faites par le feu Almando Keslin, batteur du D.P Express (1997, Archives personnelles).

 

About author

haitiinfoplus
haitiinfoplus 2717 posts

Présent dans le pays depuis près de 10 ans, cet organe de production et d’information tente de présenter une facette différente d’Haïti. Spécialisé, au départ, dans la production d’émissions, Haïti Infos Plus est disponible aujourd’hui sur la toile.

You might also like

Societe 0 Comments

Aider les enfants victimes de la torture

Le chef des droits de l’homme de l’ONU rappelle aux Etats leur obligation d’aider les enfants victimes de la torture A Genève, le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de

Grandes caraibes 0 Comments

L’auteure barbadienne Cherie Jones lauréate du Prix Carbet des lycéens 2023

Ce sont les mots, les idées et les situations qu’elle s’est attachée à décrire et à narrer dans « Et d’un seul bras la sœur balaie sa maison » qui ont séduit

A la une 0 Comments

Le chanteur Serge Jean-Noël s’en est allé

Serge Jean-Noël dit Sergo est mort des suites d’un malaise dans la nuit du dimanche 25 au lundi 26 décembre 2022, à New York (USA). Agé de 66 ans, Sergo

0 Comments

No Comments Yet!

You can be first to comment this post!

Leave a Reply